[Rencontre avec] Michèle Freud

J’aime en particulier les rencontres avec les sophrologues, car elles sont une merveilleuse opportunité de se voir offrir en partage un autre regard sur nos pratiques. Rencontrer Michèle Freud, parler avec elle de la richesse de son expérience et de ce qu’elle en transmet fut un moment enthousiasmant autant que nourrissant.

Cette enseignante, sophrologue, auteure et psychothérapeute spécialisée en psychotraumatologie nous évoque son parcours et nous présente son école, exposant aussi les valeurs qui l’animent et structurent son enseignement. Dans cette entrevue, cette arrière-petite-fille de Sigmund Freud aborde aussi son héritage intellectuel. Rencontre avec une grande Dame de la sophrologie française.

Michèle Freud
Photo Frédéric Nebinger/Bestimage

Michèle, vous portez un nom célèbre dans le monde entier, celui de l’inventeur de la psychanalyse.
Je vous pose donc la question, sans aucun doute redondante, qui brûle les lèvres de tous ceux qui ne vous connaissent pas : êtes-vous de la famille de Sigmund Freud ?

Eh bien oui, c’est mon arrière grand- père, en filiation directe.

C’est un fameux héritage. En quoi cette filiation a-t-elle influencé le choix de votre métier et la nature de votre pratique ? Peut-on parler d’influence familiale dans votre cas ?

D’une certaine manière, peut-être, mais indirectement. J’ai utilisé des chemins de traverse pour y parvenir en commençant d’abord par des études de droit, poussée par mon père qui était farouchement opposé à la psychanalyse. Une sorte de réaction sans doute épidermique que j’ai tenté d’analyser par la suite.

Il me semble que la psychanalyse a occupé trop de place dans sa vie et il en a fait un véritable rejet. En 1938, au moment de l’Anschluss, mes grands-parents sont partis pour Londres avec leurs trois enfants. Mon père a quitté l’Allemagne à l’âge de 8 ans ne parlant pas un mot d’anglais et s’est retrouvé avec ses frères, certes, dans les meilleurs pensionnats d’Angleterre, mais séparé de ses parents, très affairés par l’installation de cet illustre aïeul à Londres. Il semble en avoir souffert et en voulait à « la psychanalyse » de lui avoir pris ses parents.

Par ailleurs, une grande partie de ma famille a été déportée dans des camps de concentration. Quatre sœurs de Sigmund Freud restées en Autriche ont aussi péri en déportation. Je ressens à chaque fois une vive émotion lorsqu’on parle de la Shoah, c’est une histoire qui me concerne. Cette souffrance est sans doute inscrite dans ma chair, en tous cas dans mon transgénérationnel et c’est, peut-être, ce qui m’a donné une sensibilité plus aiguë aux souffrances d’autrui.

Du reste, j’ai fait une longue analyse avec une psychanalyste exceptionnelle aujourd’hui décédée, qui m’a fait prendre conscience de l’importance du transfert en tant que levier thérapeutique. Je crois que la psychologie des profondeurs m’a davantage passionnée que le droit ! À 33 ans, je me suis offert un « passage à l’acte » et me suis formée en psychologie pour devenir thérapeute.

C’est effectivement un âge éminemment symbolique pour un passage à l’acte. (Sourire). Où vous-êtes-vous formée en sophrologie ?

Je suis une ancienne élève de Jean-Pierre Hubert.

Nous avons cela en commun ! Michèle, pourquoi vous être spécialisée en psychotraumatologie ?

En commençant à recevoir des patients, j’ai pris conscience que la plupart d’entre eux étaient porteurs de traumas et parfois de traumas complexes et j’ai pu mesurer l’impact des forces destructrices du traumatisme.

John Bowlby en 1951 nous enseignait déjà que nous réagissons à un évènement traumatique en fonction de nos systèmes d’attachement. En d’autres termes, si les fondations ne sont pas solides, l’édifice s’écroule. C’était un constat, sans plus. Mais que faire et comment faire pour œuvrer à la base pour cette reconstruction ? La psychotraumatologie s’est alors imposée à moi pour un accompagnement au plus juste.

Durant mes études à l’époque, les troubles de l’attachement étaient très peu étudiés, tout comme les phénomènes de dissociation. On a mis longtemps à penser le traumatisme psychique. Étudier le traumatisme m’a menée dans les domaines de la physiologie, des neurosciences, de la biologie, la philosophie, et bien d’autres encore. Cela m’a aidée à une meilleure compréhension du phénomène traumatique et surtout à mieux comprendre, à travers la physiologie notamment, combien il affecte le corps et sa place prépondérante dans la guérison, (la sophrologie m’aide dans mes accompagnements en termes d’ancrage et de régulation émotionnelle car impossible d’aborder le trauma sans cette phase essentielle de stabilisation).

Je me sens tellement privilégiée d’avoir pu être le témoin de la profonde métamorphose que la guérison du traumatisme peut apporter à chacun et suis tellement admirative des ressources et compétences que les patients ont pu mettre à jour pour guérir de leurs blessures et améliorer leur quotidien.

À travers cette rencontre, vous souhaitiez parler à nos lecteurs de l’école que vous avez créée en 1994, il y a presque 30 ans. Concernant votre enseignement, votre devise est une citation de Jean Jaurès : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, mais ce que l’on est ».

Oui, mais j’aime aussi celle de Socrate que j’ai longtemps citée à mes étudiants le premier jour de leur cursus : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ».

Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je suis une passionnée. C’est ma nature, mon ADN. Apprendre, encore et toujours, partager et transmettre sont autant de moteurs essentiels à mon action, ce qui me pousse et me donne l’élan nécessaire. J’aime à transmettre ce que je comprends, ce que je connais et qui prend racine dans la recherche et dans une pratique éprouvée.

Pendant des années, j’ai transmis la sophrologie, à travers un cycle initial sur deux années, puis, très vite, j’ai observé en supervision que les sophrologues mais aussi d’autres praticiens avaient besoin d’un socle solide en psychopathologie, dans leur pratique, par rapport à leur patientèle.

Progressivement, j’ai bâti un cycle de spécialisation en thérapies brèves et sophrothérapie qui constitue aujourd’hui la spécificité de mon école, en rassemblant toutes les techniques issues de mes nombreuses recherches, études et formations comme la psychopathologie clinique -la base- mais aussi l’hypnose, la sophro analyse, la psychanalyse, les neurosciences, les T.C.C., l’EFT, la méditation de pleine conscience, et encore des outils de stabilisation issus de l’ICV ou l’EMDR.

Pour pouvoir mieux comprendre le fonctionnement psychique de l’individu et analyser plus finement les possibilités d’intervention thérapeutique ?

Oui. C’est fondamental ! C’est ainsi que l’on peut offrir une prise en charge adaptée à chaque personne. Il est important de comprendre les rouages et les mécanismes qui peuvent conduire à une psychopathologie. Comprendre que la mémoire traumatique peut amener l’être à se fragmenter, que cette réaction, dite de « figement », qui est à l’origine des innombrables symptômes somatiques, comportementaux, relationnels mais aussi émotionnels et cognitifs décrits dans les troubles anxieux post-traumatiques, comprendre aussi qu’un stress post traumatique peut réveiller bien des années plus tard, un trauma ancien…

Anna Freud, ma grand-tante qui m’a tant inspirée, disait « qu’il faut frapper deux coups pour faire un traumatisme ». Elle expliquait qu’il fallait distinguer le trauma qui se passe dans le réel et le traumatisme qui naît par la suite dans la représentation de ce trauma. C’est elle aussi qui, la première, a parlé du concept de résilience en matière de trauma. Boris Cyrulnik l’a citée dans ses tout premiers ouvrages.

Pouvez-vous nous présenter votre cycle de spécialisation ?

Le cycle de « Praticien en thérapies brèves et Sophrothérapeute » que propose l’école court sur 14 mois à raison d’un week-end tous les 2 mois. Très orienté vers la prise en charge des psychotraumatismes, il comporte aussi de solides connaissances en psychopathologie clinique. Il permet ainsi d’approfondir les pathologies de dépendance, les troubles du comportement, mais aussi et surtout de l’attachement, les troubles anxieux, le stress post-traumatique et les somatisations de toute nature.

On y propose aussi de nombreux outils de régulation émotionnelle. La stabilisation est essentielle pour aborder les traumas, tout comme l’éducation pédagogique. Expliquer aux patients ce qui leur arrive, à travers la psychoéducation permet de mieux comprendre, de se prendre en charge.

L’objectif de ce cycle de spécialisation est d’acquérir des compétences en matière d’écoute, d’analyse de la demande et d’accompagnement dans la relation d’aide, mais aussi à savoir comment mener une anamnèse dans ce cas, comment se comporter face à des personnes traumatisées. Les techniques proposées prennent par ailleurs solidement appui sur les neurosciences aux plans théorique et pratique.

Quel est votre public ?

Il est assez varié et se compose de praticiens de la relation d’aide au sens le plus large du terme : surtout les sophrologues bien sûr qui souhaitent continuer à se former, mais aussi hypnothérapeutes, et autres professionnels de la santé et de l’accompagnement thérapeutique. Tous ont à cœur de bénéficier d’outils concrets pour améliorer la prise en charge des personnes qui les consultent.

Oui, et le concret est un peu votre marque de fabrique pédagogique ?

Exactement. Dans nos méthodes pédagogiques, les enseignements théoriques sont communiqués la plupart du temps en amont des cours pour être intégrés préalablement par nos étudiants. Une large bibliographie et de nombreuses annexes sont envoyés à chacun. Les cours sont illustrés par des études de cas, des vignettes cliniques et une approche concrète de la psychologie. Les exercices et jeux de rôles en sous-groupes permettent aussi de se mettre en situation, de s’approprier les pratiques en les expérimentant sur soi, et donc d’acquérir une démarche rapidement opérationnelle.

Parlez-nous de votre équipe pédagogique et du lieu de votre école...

Nous sommes situés à Saint Raphaël, au bord de la mer, dans un lieu spacieux, calme et verdoyant. Nous profitons de la nature et du jardin pour certaines pratiques lorsqu’il fait beau. Notre équipe se compose de formateurs, tous sont des professionnels reconnus exerçant de longue date, toujours en activité, qui partagent leur expérience clinique.

Oui, on peut notamment citer le docteur Michèle Battista, pédopsychiatre et médecin référent du Centre d’Évaluation Pédiatrique du psychotraumatisme au HPU (Hôpital Pédiatrique Universitaire) Lenval de Nice, qui est intervenue dans la prise en charge des victimes de l’attentat de Nice.

Oui, effectivement. C’est une grande chance de l’avoir comme intervenante dans notre école. Elle était d’ailleurs intervenue au congrès de la S.F.S. organisé à St Raphael sur le traumatisme. Il y a aussi Claude Chatillon, psychothérapeute et sophrothérapeute formée en analyse transgénérationnelle et en psychanalyse et également présidente de la SFS, qui enseigne avec passion. Également, Jean Didier de Saint Florent, médecin, psychosomaticien et diplômé en Qi gong médical, Valérie Scoglio, psychologue clinicienne, hypnothérapeute et sophrologue, et Xavier Borriglione, sophrologue et ingénieur de formation qui lui intervient dans le petit cursus en sophrologie pour les professionnels de la santé.

Et vous-même.

Oui, j’interviens beaucoup durant ce cursus.

Dans nos échanges, vous avez beaucoup insisté sur la dimension pratico-pratique de votre enseignement. Pouvez-vous développer ?

Outre ce que nous avons déjà dit de nos méthodes pédagogiques, la formation proposée par mon équipe et moi-même offre énormément de protocoles, permettant de s’ajuster à la demande de chacun et de disposer d’un large éventail de possibilités thérapeutiques. Créer des protocoles nouveaux fait partie de mes nombreuses passions.

Je remercie mes patients qui m’ont tant appris. Il m’est arrivé, dans l’urgence, de concevoir in vivo un nouveau protocole en fonction de la problématique rencontrée… et après la séance de l’écrire… et bien sûr l’aménager en respectant la confidentialité afin d’en faire bénéficier nos étudiants. Nos cours sont aussi revus chaque année à l’aune des dernières recherches. Cette exigence relève pour moi de l’honnêteté. L’éthique fait partie intrinsèque des valeurs qui me traversent et me structurent. C’est ce que j’ai à cœur d’incarner et de transmettre.

Cela transpire dans vos ouvrages et j’aimerais en citer un à l’attention de nos lecteurs : « Réconcilier l’âme et le corps, 40 exercices de sophrologie » paru en 2007 chez Albin Michel avec un enregistrement audio. Best-seller dès sa sortie, il a contribué à mieux faire connaître la sophrologie au grand public. Michèle, pour terminer cet interview, pouvez-vous nous préciser quand démarre la prochaine session de formation ?

Le prochain cursus débute le 14 janvier 2024. Il peut être suivi en présentiel, en distanciel ou en alternant visioconférence et présentiel.

Chère Michèle, je vous remercie chaleureusement pour cet échange. Portez-vous bien et continuez de porter le flambeau de la transmission des savoirs pratiques et théoriques !

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